Silvano
Raffaello Beggiato mourut quelques mois plus tard. Je l’appris par les journaux. J’observai l’enterrement de loin. À part sa mère, n’étaient présents que Giorgia Valente, Don Silvio et quelques journalistes qui se tenaient à l’écart. Presotto en tête. Le jour suivant sortit un de ses articles sous le titre : « La solitude du tueur. »
Le procès pour les meurtres d’Oreste Siviero et de Daniela Borsatto n’eut pas lieu du fait de la mort de l’accusé. L’affaire était définitivement classée. Un dossier enterré dans une armoire.
J’avais espéré jusqu’au bout que Beggiato me donne des explications. Tous les jours, j’avais vérifié ma boîte aux lettres, inutilement. Sa mort ne m’avait pas laissé indifférent. J’éprouvais pour lui des sentiments contradictoires et toujours confus. Parfois, j’avais l’impression de lui devoir quelque chose. Alors je courais prendre dans le tiroir les photos de Clara et d’Enrico, et la haine revenait me conforter et me donner un peu de sécurité.
Les doutes continuèrent à me tourmenter jusqu’au jour où je vis Giorgia Valente accoudée au comptoir du magasin. Elle était plus laide et plus grosse que dans mon souvenir. Je servis les autres clients, puis je lui demandai ce que je pouvais faire pour elle.
— T’es plus revenu me voir, me dit-elle. Mon cul te plaît plus ?
— T’es venue pour me demander ça ?
— Non, je voulais te regarder en face. Je voulais savoir à quoi ça ressemble, quelqu’un qui devrait être en taule.
— Je comprends pas…
Elle leva la main pour m’interrompre.
— Je sais tout. Raffaello m’a tout raconté.
Je soupirai avec résignation.
— Tu veux l’argent ?
— Non. De toi, je veux absolument rien. Tu me dégoûtes. Tu m’as toujours dégoûté.
— Alors, tu veux quoi ?
— Je t’amène un message de Raffaello : gâche pas ta deuxième chance.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— T’as toujours pas compris, hein ? demanda-t-elle avec irritation. Ce pauvre Raffaello, il est mort en taule pour te la donner, bougonna-t-elle en s’éloignant.
Puis elle se tourna d’un coup et hurla :
— La gaspille pas, connard ! Nous, on l’a jamais eue. Jamais !
Tout le monde se retourna pour la regarder. Giorgia Valente me fixa avec haine. Puis elle partit en claquant des talons.